De l’autre côté du manoir - La vie à Courbevaux de 1959 à 2015
par Stéphane Paroux
par Stéphane Paroux
Quand mes grands-parents acquièrent Courbevaux le 25 avril 1959, ont-ils conscience de déplacer le centre de gravité de la famille durablement ? En 1958, Alice et René Paroux habitent au Kremlin-Bicêtre dans un appartement assez modeste, à quelques encablures de Paris. René est entrepreneur de travaux publics et Alice s’occupe des neuf enfants. Le Home Sweet Home est étroit, et mon grand-père recherche une résidence secondaire, avec bois et pièce d’eau. Comment tombe-t-il sur l’annonce du Chasseur français, qu’il ne lit jamais ? En tout cas, il saute sur l’occasion… et l’aventure commence !
Château ou manoir ?
Courbevaux est à cette époque dans un piteux état : le château est « en état de vétusté », selon la terminologie de l’acte de vente, délabré et insalubre, le parc mal entretenu malgré les « beaux arbres d’essences diverses » et les douves quasiment sans eau. Sur les photos de l’époque, on distingue un château d’eau métallique, qui donne à ces terres du Gâtinais un air de far-west.
Dans la famille, on s’en est toujours tenu à «on va à Courbevaux ». Qu’il s’agisse d’un château ou d’un manoir n’avait que peu d’importance. Courbevaux est davantage un manoir, « petit château ancien situé à la campagne » (dictionnaire historique de la langue française). Un château, ça fait un peu prétentieux, surtout pour une famille qui n’a aucune ascendance noble. Tandis que dans le « manoir », on sent le mystère, l’humidité de la cave, les toiles d’araignée sous le toit et les légendes.
Il est très difficile lorsqu’on raconte la vie à Courbevaux de se borner aux faits, aux événements. La réalité, les déformations du souvenir, les récits oraux, les témoignages, les mythes qui s’y attachent construisent l’image de ce lieu si particulier, et, est-ce l’esprit qui veut ça ou ma part de subjectivité émotive, on ne veut pas les dissocier. Il y a ce qui a existé, ce qui a certainement existé, ce qu’on amplifie et ce qui se transmet. J’essaierai ici de jouer les équilibristes entre tout ce que je sais, ce que j’ai pu vérifier et ce qui reste une histoire un peu fantasmée.
Toute la famille prend donc possession des quatorze hectares du domaine : parmi les neuf enfants, l’ainée a 21 ans et la cadette 4 ans en 1959. L’ensemble de la famille passe la plupart de ses week-ends et vacances ici, une partie arrivant en voiture et l’autre en train. Les premières années sont celles de la belle aventure : les amis viennent prêter main forte pour faucher, défricher, réparer. D’abord, la maison des gardiens, qui est à l’entrée du domaine, est rendue habitable. Ce n’est pas beaucoup plus grand que l’appartement du Kremlin-Bicêtre, mais cela permet à tous de profiter de l’espace extérieur : les prés, les douves, le parc.
Le manoir, bâtiment emblématique du domaine, est rénové et modernisé : des salles de bain et salles d’eau sont créées, l’électricité repensée ainsi que le chauffage, l’un des défis de cette demeure. Au rez-de-chaussée, la mosaïque de l’entrée est remise en état tout comme l’escalier en bois sculpté, peuplé de paon, de grappes de raisin et d’autres animaux. A côté, un salon cheminée assez cosy, avec ses tentures bordeaux et de l’autre côté, une grande salle à manger, où une immense fenêtre est percée entre les deux bow-windows, avec une vue majestueuse sur le pont qui enjambe les douves puis l’allée principale du parc. Sont construits sur site par un ébéniste de Saint-Quay-Portrieux une énorme table en peuplier, qui restera en place pendant un demi-siècle, et un buffet.
Au premier étage, quatre chambres, dont celle d’Alice et René, avec les deux bow-windows qui embrassent l’ensemble du domaine. Au deuxième étage, d’autres chambres pour les nombreux enfants, certaines avec terrasse sur le toit de la tour principale. La chambre la plus haute, dans la tour la plus fine, est sous les combles, un antre qui est déjà un univers en soi, où l’on accède par une échelle de meunier. Au total, environ 450 m2 habitable dans le bâtiment principal.
Dehors, les douves sont curées et maçonnées, le parc déblayé et l’autre bâtiment, les communs, anciennes écuries devenues garage et salle de réunion familiale, rénovés. Le gros des travaux a été réalisé entre 1962 et 1965. Mais qui en a été le maître d’œuvre ou l’architecte ? Je ne le sais pas… Le domaine est donc en pleine santé : le château est ravalé de pierres blanches projetées. Lorsque l’on vient du parc, à travers les branches, jaillit sa blancheur, et rappelle les châteaux des contes.
D’autant que les premiers souvenirs de cette période, comme me l’ont raconté mon père et mes oncles et tantes, sont liés aux communions et mariages. Courbevaux reflétait alors à la fois la tranquillité de la cellule familiale, si tant est qu’on puisse trouver un moment de calme avec neuf enfants, et l’agitation des moments festifs ! L’ambiance est bon enfant, celle d’une famille simple, qui a suffisamment de moyens pour subvenir aux besoins familiaux, dont la progéniture grandit, et par la force de la nature, la famille aussi : les ainés commencent à « fréquenter » et vont inaugurer une longue série de festivités à Courbevaux : communions, mariages, repas de famille qui commencent toujours par un apéro au bar installé dans la salle à manger, et d’une partie de 4-21.
Les enfants transforment cette terre du Loiret en terrain d’aventures lointaines et exotiques, pendant que les adultes passent des moments mémorables à refaire le monde et se reposer de sa semaine de travail. On a même pu croiser une ou deux fois le général Massu faisant une partie de pétanque dans les allées de Courbevaux, venu en voisin.
L’hiver, les douves gèlent régulièrement : les enfants y font du patin à glace. L’été, ils mettent des barques à l’eau, et même un petit voilier en 1961 !
Il est très difficile lorsqu’on raconte la vie à Courbevaux de se borner aux faits, aux événements. La réalité, les déformations du souvenir, les récits oraux, les témoignages, les mythes qui s’y attachent construisent l’image de ce lieu si particulier, et, est-ce l’esprit qui veut ça ou ma part de subjectivité émotive, on ne veut pas les dissocier. Il y a ce qui a existé, ce qui a certainement existé, ce qu’on amplifie et ce qui se transmet. J’essaierai ici de jouer les équilibristes entre tout ce que je sais, ce que j’ai pu vérifier et ce qui reste une histoire un peu fantasmée.
Toute la famille prend donc possession des quatorze hectares du domaine : parmi les neuf enfants, l’ainée a 21 ans et la cadette 4 ans en 1959. L’ensemble de la famille passe la plupart de ses week-ends et vacances ici, une partie arrivant en voiture et l’autre en train. Les premières années sont celles de la belle aventure : les amis viennent prêter main forte pour faucher, défricher, réparer. D’abord, la maison des gardiens, qui est à l’entrée du domaine, est rendue habitable. Ce n’est pas beaucoup plus grand que l’appartement du Kremlin-Bicêtre, mais cela permet à tous de profiter de l’espace extérieur : les prés, les douves, le parc.
Le manoir, bâtiment emblématique du domaine, est rénové et modernisé : des salles de bain et salles d’eau sont créées, l’électricité repensée ainsi que le chauffage, l’un des défis de cette demeure. Au rez-de-chaussée, la mosaïque de l’entrée est remise en état tout comme l’escalier en bois sculpté, peuplé de paon, de grappes de raisin et d’autres animaux. A côté, un salon cheminée assez cosy, avec ses tentures bordeaux et de l’autre côté, une grande salle à manger, où une immense fenêtre est percée entre les deux bow-windows, avec une vue majestueuse sur le pont qui enjambe les douves puis l’allée principale du parc. Sont construits sur site par un ébéniste de Saint-Quay-Portrieux une énorme table en peuplier, qui restera en place pendant un demi-siècle, et un buffet.
Au premier étage, quatre chambres, dont celle d’Alice et René, avec les deux bow-windows qui embrassent l’ensemble du domaine. Au deuxième étage, d’autres chambres pour les nombreux enfants, certaines avec terrasse sur le toit de la tour principale. La chambre la plus haute, dans la tour la plus fine, est sous les combles, un antre qui est déjà un univers en soi, où l’on accède par une échelle de meunier. Au total, environ 450 m2 habitable dans le bâtiment principal.
Dehors, les douves sont curées et maçonnées, le parc déblayé et l’autre bâtiment, les communs, anciennes écuries devenues garage et salle de réunion familiale, rénovés. Le gros des travaux a été réalisé entre 1962 et 1965. Mais qui en a été le maître d’œuvre ou l’architecte ? Je ne le sais pas… Le domaine est donc en pleine santé : le château est ravalé de pierres blanches projetées. Lorsque l’on vient du parc, à travers les branches, jaillit sa blancheur, et rappelle les châteaux des contes.
D’autant que les premiers souvenirs de cette période, comme me l’ont raconté mon père et mes oncles et tantes, sont liés aux communions et mariages. Courbevaux reflétait alors à la fois la tranquillité de la cellule familiale, si tant est qu’on puisse trouver un moment de calme avec neuf enfants, et l’agitation des moments festifs ! L’ambiance est bon enfant, celle d’une famille simple, qui a suffisamment de moyens pour subvenir aux besoins familiaux, dont la progéniture grandit, et par la force de la nature, la famille aussi : les ainés commencent à « fréquenter » et vont inaugurer une longue série de festivités à Courbevaux : communions, mariages, repas de famille qui commencent toujours par un apéro au bar installé dans la salle à manger, et d’une partie de 4-21.
Les enfants transforment cette terre du Loiret en terrain d’aventures lointaines et exotiques, pendant que les adultes passent des moments mémorables à refaire le monde et se reposer de sa semaine de travail. On a même pu croiser une ou deux fois le général Massu faisant une partie de pétanque dans les allées de Courbevaux, venu en voisin.
L’hiver, les douves gèlent régulièrement : les enfants y font du patin à glace. L’été, ils mettent des barques à l’eau, et même un petit voilier en 1961 !
Avec les voisins et les Germanopratins, l’entente est cordiale et discrète. Contrairement à certains anciens propriétaires, des premiers seigneurs de Corbeval à Loup de Sainville, mes grands-parents n’ont pas souhaité s’impliquer dans les instances politiques communales ou départementales. Par contre, ils ont contribué au dynamisme de la paroisse de Saint-Germain : catéchisme, préparations liturgiques, accueil des enfants du patronage ou de camps de scouts, participation aux fêtes paroissiales.
Courbevaux est pour tous un endroit exceptionnel. René avait dit à Alice, au moment où il est sur le point d’acheter le domaine en 1958 : « Tu auras ton château pour tes 45 ans. » L’un des premiers arbres a été planté en 1960, pour son 45ème anniversaire.
Courbevaux est pour tous un endroit exceptionnel. René avait dit à Alice, au moment où il est sur le point d’acheter le domaine en 1958 : « Tu auras ton château pour tes 45 ans. » L’un des premiers arbres a été planté en 1960, pour son 45ème anniversaire.
1962 - Courbevaux et ses douves rénovées
De l’enfance à l’âge adulte
Mes grands-parents déménagent à Courbevaux définitivement en 1977. J’ai cinq ans. Une autre période s’ouvre, qui croise mon enfance et mon adolescence.
Combien de tours de la table de la salle à manger ai-je pu faire ? Tous les enfants cavalaient sans se préoccuper s’ils cassaient la tête et les oreilles des autres membres de la famille terminant un de ces repas interminables. La répartition à table était claire : mes grands-parents trônant en bout, les enfants et conjoints proches d’eux, et à l’autre extrémité, les plus jeunes, qui, de toute façon, ne termineraient pas le repas assis. Au bout de la table, une fois adolescent et jeune adulte, cela signifiait : je fais toujours partie des plus jeunes… mais le temps que la bouteille de vin arrive jusqu’à moi, elle sera vide ! Pour moi comme pour la plupart des membres de la famille, Courbevaux est le point de rencontre des grands événements : Noël, où nous allions quelques jours avant choisir un sapin dans le parc pour le couper et qu’il orne la salle à manger avec l’énorme crèche, réaménagée chaque année pour l’occasion. Nombreux le soir du réveillon et les jours suivants, les enfants que nous étions étaient excités, d’autant plus que nous dormions à cinq ou six cousins par chambre. Le lendemain matin, cérémonial immuable : nous prenions le petit-déjeuner dans la cuisine, la porte de la salle à manger fermée, les quelques adultes qui nous entouraient le regard flou d’un lendemain de fête, nous faisaient patienter. Puis, en rang d’oignon, du plus petit au plus grand, nous pénétrions dans la salle à manger pour se jeter sous le sapin et déballer les cadeaux. Puis, durant la journée, chacun se relayait près du poêle à fioul (plus tard au butane), seule source de chaleur de la pièce.
Courbevaux, pour les enfants de toutes les générations, est resté un terrain d’aventures : les parents savaient que l’espace, même vaste, était clôturé. Dans le parc à explorer ou construire des cabanes éphémères, dans les prés à entrer pour courir après les poneys ou les moutons… ou à nourrir Kiko, le sanglier. Cela ne nous surprenait pas : il y avait dans un petit enclos, entre 1965 et 1985, un sanglier. D’après ce que j’ai appris, il avait été trouvé marcassin, ramené et élevé à Courbevaux. A chaque repas, sur la table, on ramassait ce qu’il pouvait manger dans un bol baptisé « la casquette à Kiko », qu’on lui portait dans son auge. Quelquefois, nous pêchions dans les douves : pêche facile, d’où l’on ramenait des carpes, de plus en plus grosses. Elles rivalisaient pour se saisir des bouts de pain avec les deux cygnes, maîtres des douves, et des canards, qui, le temps de la saison de chasse, avaient élu domicile ici, nourris, logés et en sécurité !
Mais l’activité la plus palpitante paraissait aussi la plus risquée : sans le dire aux adultes, nous aimions nous glisser au deuxième étage du château, inhabité à partir du début des années 80. De multiples trésors, témoin des décennies passées, étaient découverts : une affiche, un disque, une brosse, qui nous replongeaient dans l’adolescence de nos parents. Courbevaux était un parc d’attraction où nous nous sentions libres.
1996 - Courbevaux
A cette période, la géographie de la famille Paroux a changé : entre 1975 et 1990, la plupart des enfants ont déménagé de la région parisienne au Loiret, à Montargis, Amilly, Paucourt, Ferrières-en-Gâtinais… La société familiale, la Parma, dans laquelle travaillaient cinq des neuf enfants, fédérait comme Courbevaux, les cellules familiales. Entre les mariages et les naissances, la famille s’agrandit rapidement. Courbevaux devient le lieu où l’on présente les nouveau-nés, et où oncles, tantes, cousins, amis, viennent pour admirer les nouvelles frimousses. En dehors de la famille, il y a encore un couple de gardiens qui loge dans le pavillon à l’entrée du domaine.
Plusieurs couples se sont succédé à ce poste : les premiers accueillis par mes grands-parents sont Louis et Marguerite PIERRE, gardiens de 1963 à 1967. Les enfants s’en souviennent comme des personnes excessivement attachantes, qui les accueillaient quand ils le voulaient pour aller voir le cochon ou les autres animaux, aller au marché avec Marguerite. Puis, dans les années 70, M. et Mme DUPATY, et dans les années 80, Léon et Olga. Tous hébergés gracieusement contre travaux ménagers et jardinage.
Pendant que je m’amusais avec mes cousins, se jouait une nouvelle étape de la vie à Courbevaux : les affaires de la Parma n’étaient plus aussi florissantes et ses activités s’arrêtent quelques années plus tard. Pour sauver le domaine, les enfants et conjoints d’Alice et René ont pris les choses en main et ont cherché des solutions. L’une d’elle a consisté à imaginer deux projets pour aménager le parc en résidences aux parcelles assez luxueuses. Un architecte avait planché dessus, mais la mairie ne donna pas son autorisation. Décision à la fois difficile et salutaire : il a fallu trouver d’autres solutions, mais l’unité et l’atmosphère du domaine ont été préservées.
Vivre son histoire familiale dans un monument historique
Adolescent, je me suis rendu compte que Courbevaux n’était pas simplement un terrain de jeux. La première fois que j’en ai pris conscience est anecdotique : une cousine a raconté à ma grand-mère que l’instit de sa fille, en maternelle, lui avait demandé de raconter son week-end. Ma petite-cousine avait alors dit qu’elle avait passé son dimanche dans un château, à faire de la balançoire, courir après les cygnes dans les douves et donner à manger aux moutons. Ma cousine fut convoquée par la professeure, qui jugeait que sa fille avait une imagination débordante ! Plus sérieusement, c’est après la mort de René, mon grand-père, en 1995, que j’ai voulu poursuivre des recherches historiques sur le domaine. Au départ, pour trouver une solution pour financer des travaux de rénovation. Chambres d’hôtes, décor de cinéma, salles de réceptions, les idées ne manquaient pas. Et pourquoi ne pas demander aux monuments historiques de classer le domaine à l’inventaire supplémentaire ? Un dossier a été constitué, des visites ont été effectuées, mais l’ampleur de la réfection, malgré l’intérêt pour le manoir et le parc, ont rebuté les Monuments.
Curieux hasard : j’ai réalisé ses recherches en 1996, 900 ans après la première mention retrouvée du domaine de « Corbeval » dans un acte officiel ! Pour m’aider, à l’heure où les réseaux sociaux se résumaient au téléphone et aux courriers, j’ai contacté Paul Gâche, dont les Montargois lecteurs de L’éclaireur du Gâtinais se souviennent sans doute, qui m’a gentiment envoyé tout ce qu’il possédait. Par la suite, Gilbert Baumgartner m’a communiqué des éléments sur Emmanuel de Sainville, le propriétaire le plus illustre de Courbevaux, et le plus attractif… Car nous connaissons à peu près toutes les étapes de l’histoire du lieu, de 1096 à 1895, et de 1905 à aujourd’hui. Mais il y a un trou, il manque une pièce au puzzle… En 1895, le principal bâtiment de Courbevaux était une maison de maître, située à côté des communs. En 1905, le château était terminé. Mais durant ces dix ans, que s’est-il passé ?
J’ai été aux archives départementales, chez le notaire de Châteaurenard : mémoires de travaux, lettres retrouvées, mais pas d’acte d’achat ou de transformations des bâtiments. J’ai passé une annonce dans L’éclaireur : deux réponses, l’une de la fille d’un des gardiens, qui m’a donné de nombreux renseignements sur la vie du temps de Sainville, et un homme très âgé, qui m’a envoyé une lettre racontant les séances de spiritisme de Sainville, à Courbevaux et Paris. Mais pas de traces des dates de construction du manoir, ni d’architecte ou de maître d’œuvre… La légende évoque l’exposition universelle de 1900 : le manoir serait une reconstruction du pavillon britannique.
Plusieurs couples se sont succédé à ce poste : les premiers accueillis par mes grands-parents sont Louis et Marguerite PIERRE, gardiens de 1963 à 1967. Les enfants s’en souviennent comme des personnes excessivement attachantes, qui les accueillaient quand ils le voulaient pour aller voir le cochon ou les autres animaux, aller au marché avec Marguerite. Puis, dans les années 70, M. et Mme DUPATY, et dans les années 80, Léon et Olga. Tous hébergés gracieusement contre travaux ménagers et jardinage.
Pendant que je m’amusais avec mes cousins, se jouait une nouvelle étape de la vie à Courbevaux : les affaires de la Parma n’étaient plus aussi florissantes et ses activités s’arrêtent quelques années plus tard. Pour sauver le domaine, les enfants et conjoints d’Alice et René ont pris les choses en main et ont cherché des solutions. L’une d’elle a consisté à imaginer deux projets pour aménager le parc en résidences aux parcelles assez luxueuses. Un architecte avait planché dessus, mais la mairie ne donna pas son autorisation. Décision à la fois difficile et salutaire : il a fallu trouver d’autres solutions, mais l’unité et l’atmosphère du domaine ont été préservées.
Vivre son histoire familiale dans un monument historique
Adolescent, je me suis rendu compte que Courbevaux n’était pas simplement un terrain de jeux. La première fois que j’en ai pris conscience est anecdotique : une cousine a raconté à ma grand-mère que l’instit de sa fille, en maternelle, lui avait demandé de raconter son week-end. Ma petite-cousine avait alors dit qu’elle avait passé son dimanche dans un château, à faire de la balançoire, courir après les cygnes dans les douves et donner à manger aux moutons. Ma cousine fut convoquée par la professeure, qui jugeait que sa fille avait une imagination débordante ! Plus sérieusement, c’est après la mort de René, mon grand-père, en 1995, que j’ai voulu poursuivre des recherches historiques sur le domaine. Au départ, pour trouver une solution pour financer des travaux de rénovation. Chambres d’hôtes, décor de cinéma, salles de réceptions, les idées ne manquaient pas. Et pourquoi ne pas demander aux monuments historiques de classer le domaine à l’inventaire supplémentaire ? Un dossier a été constitué, des visites ont été effectuées, mais l’ampleur de la réfection, malgré l’intérêt pour le manoir et le parc, ont rebuté les Monuments.
Curieux hasard : j’ai réalisé ses recherches en 1996, 900 ans après la première mention retrouvée du domaine de « Corbeval » dans un acte officiel ! Pour m’aider, à l’heure où les réseaux sociaux se résumaient au téléphone et aux courriers, j’ai contacté Paul Gâche, dont les Montargois lecteurs de L’éclaireur du Gâtinais se souviennent sans doute, qui m’a gentiment envoyé tout ce qu’il possédait. Par la suite, Gilbert Baumgartner m’a communiqué des éléments sur Emmanuel de Sainville, le propriétaire le plus illustre de Courbevaux, et le plus attractif… Car nous connaissons à peu près toutes les étapes de l’histoire du lieu, de 1096 à 1895, et de 1905 à aujourd’hui. Mais il y a un trou, il manque une pièce au puzzle… En 1895, le principal bâtiment de Courbevaux était une maison de maître, située à côté des communs. En 1905, le château était terminé. Mais durant ces dix ans, que s’est-il passé ?
J’ai été aux archives départementales, chez le notaire de Châteaurenard : mémoires de travaux, lettres retrouvées, mais pas d’acte d’achat ou de transformations des bâtiments. J’ai passé une annonce dans L’éclaireur : deux réponses, l’une de la fille d’un des gardiens, qui m’a donné de nombreux renseignements sur la vie du temps de Sainville, et un homme très âgé, qui m’a envoyé une lettre racontant les séances de spiritisme de Sainville, à Courbevaux et Paris. Mais pas de traces des dates de construction du manoir, ni d’architecte ou de maître d’œuvre… La légende évoque l’exposition universelle de 1900 : le manoir serait une reconstruction du pavillon britannique.
Exposition Universelle de 1900- Pavillons Bosnie, Hongrie et Grande-Bretagne
The Royal Pavilion (pavillon anglais de l'Exposition Universelle de 1900
Aux archives nationales, j’ai trouvé les lettres des ministères qui affirment que le pavillon britannique, construit de poutres métalliques et d’agglomérat de ciment, n’a pu être déplacé (les Anglais, en grande rivalité de puissance avec la France, n’avaient fait que peu d’effort pour aider à la réussite de l’expo universelle parisienne). Ce pavillon ayant été inspiré par le manoir de Bradford-on-Avon à côté de Bristol, j’ai pris ce prétexte pour aller visiter le lieu et pris rendez-vous avec le propriétaire de l’époque, sir Alex Moulton, pour partager ses informations. Effectivement, le style victorien n’est pas sans rappeler des éléments caractéristiques de Courbevaux : bow-windows, cheminées monumentales torsadées, alliance de briques et de pierres etc… Mais pas de traces de Courbevaux en Angleterre.
Cette quête a été passionnante, mais les résultats n’ont pas été à la hauteur de mes espérances. La légende reste mystérieuse, peut-être que cette énigme pourra être résolue par un des lecteurs de ce récit…
Ambiance fin de règne
De 1995 à 2006, Alice, entourée de ses enfants, petits-enfants, arrière-petits-enfants, vit toujours à Courbevaux. Le domaine paraît de plus en plus étendu quand il s’agit de l’entretenir, alors que les espaces de vie se réduisent : deux chambres, deux pièces principales, une salle de bain, une cuisine. Malheureusement, aucun des membres de la famille n’est devenu millionnaire, en francs ou en euros, et la famille Paroux tente de maintenir le lieu vivable. Les réunions familiales continuent de se dérouler ici, dans le bâtiment commun ou à l’intérieur d’un barnum monté sur l’une des pelouses. Les ados organisent de temps en temps un camping dans le parc, les moutons prennent toujours peur dès qu’on s’approche d’eux et les canards, jusqu’à quatre-vingts certaines années, réveillent les habitants dès l’aube.
L’image que je garde de cette période reste attachée au décor exceptionnel que représente Courbevaux, un peu comme si le temps s’était dilué et l’espace cristallisé. Les événements continuent à y avoir lieu, c’est cela : tout continue, mais rien ne se renouvelle. Le statut patriarcal de mes grands-parents a fait que personne ne voulait déranger leur quotidien ni le remettre en cause.
A la mort d’Alice, en 2006, la dernière étape redoutée se matérialisait ; que faire ? Courbevaux appartenait juridiquement à la SCI formée par les enfants de René et Alice depuis 1991, mais y avait-il un avenir pour la famille Paroux ici ? Là-dessus, les discussions ont été passionnées et vu le nombre de membres de la famille, nombreuses. Certains pensaient que Courbevaux restait l’histoire de René et Alice. Ceux-ci disparus, la page se tournait. D’autres souhaitaient tout essayer pour garder le lieu dans le giron familial, non par ambition, mais par un attachement viscéral au lieu et aux souvenirs qui s’y attachent. Alors, sans véritable idée miracle, le lieu a vivoté, sans habitant quotidien. Et ce qui devait arriver arriva.
Courbevaux est un lieu magnétique : ceux qui s’en approchent sont irrémédiablement attirés par l’imaginaire qu’il dégage. On croit qu’on va y trouver des fantômes, des animaux mythiques. Manoir abandonné, les végétaux grimpant sur les façades, une tour écroulée, là-bas, dans le garage, une vieille DS qui rouille, un parc avec des arbres centenaires, dont des sequoias. On ressent le passé et le mystère, on l’extrapole. Le manoir se dégrade rapidement notamment par de multiples visites inopportunes. La solution semble inéluctable, le domaine sera vendu.
J’ai été pour la dernière fois à Courbevaux le 17 août 2013, seul. J’ai croisé une biche à l’entrée du sous-bois, unique âme animée. La porte d’entrée était ouverte, le sol jonché de livres, les armoires renversées, vision douloureuse. J’ai pris quelques photos, ne me suis pas attardé, l’époque des Paroux à Courbevaux touchait à sa fin. En janvier 2015, Courbevaux était vendu.
Je me souviens, au détour d’une conversation avec un pharmacien du Kremlin-Bicêtre, que nous avions découvert qu’il avait passé une partie de son enfance aux Guillots, en face de Courbevaux. Pour lui, Courbevaux était un fantasme, une terre d’attache, aimantée par ses histoires. C’est également le cas pour moi : il reste un lieu duquel on ne sort pas facilement, ancré dans une mémoire individuelle et collective et dont l’histoire continue de vivre et de s’écrire.
Stéphane Paroux
Cette quête a été passionnante, mais les résultats n’ont pas été à la hauteur de mes espérances. La légende reste mystérieuse, peut-être que cette énigme pourra être résolue par un des lecteurs de ce récit…
Ambiance fin de règne
De 1995 à 2006, Alice, entourée de ses enfants, petits-enfants, arrière-petits-enfants, vit toujours à Courbevaux. Le domaine paraît de plus en plus étendu quand il s’agit de l’entretenir, alors que les espaces de vie se réduisent : deux chambres, deux pièces principales, une salle de bain, une cuisine. Malheureusement, aucun des membres de la famille n’est devenu millionnaire, en francs ou en euros, et la famille Paroux tente de maintenir le lieu vivable. Les réunions familiales continuent de se dérouler ici, dans le bâtiment commun ou à l’intérieur d’un barnum monté sur l’une des pelouses. Les ados organisent de temps en temps un camping dans le parc, les moutons prennent toujours peur dès qu’on s’approche d’eux et les canards, jusqu’à quatre-vingts certaines années, réveillent les habitants dès l’aube.
L’image que je garde de cette période reste attachée au décor exceptionnel que représente Courbevaux, un peu comme si le temps s’était dilué et l’espace cristallisé. Les événements continuent à y avoir lieu, c’est cela : tout continue, mais rien ne se renouvelle. Le statut patriarcal de mes grands-parents a fait que personne ne voulait déranger leur quotidien ni le remettre en cause.
A la mort d’Alice, en 2006, la dernière étape redoutée se matérialisait ; que faire ? Courbevaux appartenait juridiquement à la SCI formée par les enfants de René et Alice depuis 1991, mais y avait-il un avenir pour la famille Paroux ici ? Là-dessus, les discussions ont été passionnées et vu le nombre de membres de la famille, nombreuses. Certains pensaient que Courbevaux restait l’histoire de René et Alice. Ceux-ci disparus, la page se tournait. D’autres souhaitaient tout essayer pour garder le lieu dans le giron familial, non par ambition, mais par un attachement viscéral au lieu et aux souvenirs qui s’y attachent. Alors, sans véritable idée miracle, le lieu a vivoté, sans habitant quotidien. Et ce qui devait arriver arriva.
Courbevaux est un lieu magnétique : ceux qui s’en approchent sont irrémédiablement attirés par l’imaginaire qu’il dégage. On croit qu’on va y trouver des fantômes, des animaux mythiques. Manoir abandonné, les végétaux grimpant sur les façades, une tour écroulée, là-bas, dans le garage, une vieille DS qui rouille, un parc avec des arbres centenaires, dont des sequoias. On ressent le passé et le mystère, on l’extrapole. Le manoir se dégrade rapidement notamment par de multiples visites inopportunes. La solution semble inéluctable, le domaine sera vendu.
J’ai été pour la dernière fois à Courbevaux le 17 août 2013, seul. J’ai croisé une biche à l’entrée du sous-bois, unique âme animée. La porte d’entrée était ouverte, le sol jonché de livres, les armoires renversées, vision douloureuse. J’ai pris quelques photos, ne me suis pas attardé, l’époque des Paroux à Courbevaux touchait à sa fin. En janvier 2015, Courbevaux était vendu.
Je me souviens, au détour d’une conversation avec un pharmacien du Kremlin-Bicêtre, que nous avions découvert qu’il avait passé une partie de son enfance aux Guillots, en face de Courbevaux. Pour lui, Courbevaux était un fantasme, une terre d’attache, aimantée par ses histoires. C’est également le cas pour moi : il reste un lieu duquel on ne sort pas facilement, ancré dans une mémoire individuelle et collective et dont l’histoire continue de vivre et de s’écrire.
Stéphane Paroux
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Des photos de la famille PAROUX, retrouvées dans les décombres du château.
qui habitait à Courbevaux entre les années 1959 à 2009
Courbevaux a été revendu fin 2015 ou début 2016 par les héritiers Paroux
René, Raymond PAROUX
Né le 8 mai 1913 à Paris 5ème,
Décédé à 82 ans, le 11 février 1995 à St Germain des près - Loiret
Mariage avec Alice, Adrienne MAIGNE, le 7 mai 1936 au Kremlin Bicêtre - Val de Marne
Alice, Adrienne MAIGNE,
Née le 26 mars 1915 à LevalloIs-Perret - Hauts de Seine
Décédée à 91 ans, le 24 septembre 2006 à Amilly - Loiret
René et Alice Paroux eurent 9 enfants :
Alice
René-Gérard - Né le 11 octobre 1939 - Décédé le 10 septembre 1982
Annick
Daniel
Jocelyne
André
Christian
Muriel
Christine
(par ordre de naissance)
DERNIERS AJOUTS,
DES PHOTOS APPARTENANT AUX DESCENDANTS DE LA FAMILLE PAROUX,
AVEC TOUS MES REMERCIEMENTS
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Daniel et Jocelyne seraient nés dans les années 40 ou 50.
Jocelyne a eu son B.E.P.C. en juin 1962.
Daniel Paroux a effectué son service militaire chez les Chasseurs alpins du 6ème B.C.A. à Grenoble en 1963
Ces photos personnelles sauvées des décombres et ont été remis aux héritiers Paroux.
octobre 2006 - Photos de ides45.skyblog.com (Juliette Debucourt)
PHOTO 1 :"Peut-être la dernière réunion de famille a Courbevaux sans notre super mémé
et là c'est le coin ados et des pré-adultes"
PHOTO 2 : "le coin des adultes on espère que Courbevaux ne disparaitra pas"